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L’entrepreneuriat responsable, une utopie réalisatrice ? par Thibault Cuenoud

L’entrepreneuriat est depuis plusieurs années un sujet de débat tant auprès des chercheurs que des professionnels. Comment faire pour aider, soutenir et développer nos entrepreneurs d’aujourd’hui pour que demain nos territoires soient toujours plus actifs et attractifs ? La réponse est complexe. Il est difficile d’y apporter une solution toute faite. Pourtant, nos entrepreneurs sont confrontés à toujours plus de concurrence, toujours plus de complexité, toujours plus de compétences… Nous pourrions laisser entendre qu’entreprendre n’est finalement pas aussi attirant tellement les risques pris nous font réfléchir… Alors, pourquoi entreprendre et comment entreprendre ? Ici, nous souhaitons poser les grandes tendances sociétale​s sans pour autant être exhaustif. La société change et les jeunes générations que nous côtoyons tous les jours lors de nos enseignements le témoignent : elles souhaitent être libres, réaliser des expériences de vie, s’attacher et respecter leur territoire, s’organiser différemment, impulser des projets collectivement… Alors, entreprendre différemment est-il possible aujourd’hui, et encore plus demain ? D’un point de vue sociétal, l’entrepreneuriat deviendra la norme (on nous prédit de moins en moins d’activités salariales, plusieurs expériences professionnelles, des possibilités d’entreprendre plus simples…). De l’autre, la mise en concurrence de nombres de secteurs d’activité tend à exacerber les tensions au sein des organisations (internet a permis facilement et librement de lancer son activité avec des coûts plus que faibles aujourd’hui). Quelle doit être la place de ces organisations dans l’économie mais aussi dans la société ? Nous parlons de plus en plus « d’entreprise citoyenne ». Est-il plausible voire sérieux de parler de citoyenneté pour une entreprise qui cherche à « maximiser » ses profits en minimisant les contraintes dans ses stratégies de localisation de ses activités ? L’entrepreneuriat responsable est-il en devenir ou n’est-ce qu’une utopie en quête de réalisation ?​​ Entrepreneur-reunion
​​Femme-creation-entreprise Ces thématiques s’inscrivent dans les axes de recherche que porte l’Institut de la Responsabilité Sociétale par l’Innovation (IRSI) via des regards croisés entre les enseignants-chercheurs et les partenaires professionnels impliqués. Des mouvements entrepreneuriaux historiques ont pu voir le jour : nous pouvons rappeler les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire via les mutuelles, les associations et les coopératives. Ceux-ci ont placé un objet social comme but de leurs activités socio-économiques (la cohésion territoriale, la lutte contre l’exclusion de personnes en difficulté, la solidarité entre acteurs…). De nouveaux acteurs aux statuts capitalistiques se sont aussi impliqués dans leurs responsabilités sociétales : il s’agit de toute la dynamique de la Responsabilité Sociale des Organisations (RSO) qui aujourd’hui est devenue « LA » norme dans le rôle que peuvent jouer to​​utes organisations responsables. Plus récemment encore, depuis la loi cadre de l’Economie Sociale et Solidaire de 2014, la France a reconnu les « entrepreneurs sociaux » qui, via l’inscription de certains principes sociétaux dans leurs statuts juridiques, peuvent obtenir un agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale). La multitude de ces « engagements entrepreneuriaux » ne laisse aucun doute dans l’émergence d’une façon d’entreprendre autrement. Les travaux des chercheurs de l’IRSI confirment cette tendance de fond vis-à-vis d’entreprises à la recherche d’une performance globale plus forte entre l’économie, le social et l’environnemental (pouvons-nous aller jusqu’à « l’entreprise citoyenne » alors ?). Pourtant, le mouvement sociétal de l’entrepreneuriat n’est pas stabilisé puisqu’il s’oriente encore vers des évolutions plus collectives et donc collaboratives…
​La numérisation pour certains, la digitalisation pour d’autres, apportent des changements en profondeur dans cet entrepreneuriat en quête de sens. La détermination de l’objet social d’une organisation, afin d’y dédier son activité socio-économique, couplée à des démarches de Responsabilité Sociétale (RS) dans la recherche d’une performance globale, peut être de nature à se renouveler, via l’utilisation d’outils collaboratifs impliquant les parties-prenantes souhaitan​t s’associer à ces projets de société. Les pratiques collaboratives peuvent permettre de « faire société » dans la capacité à associer, échanger, partager et diffuser des projets que peuvent porter une entreprise responsable. Allons-nous alors vers plus d’engagement, de responsabilité et de citoyenneté dans ces organisations ? Est-il possible d’envisager que des organisations, qu’elles soient à but lucratif ou non, s’engagent dans des démarches trop souvent qualifiées « d’alternatives » ? Si elles sont alternatives, cela signifie qu’elles ne sont toujours pas la norme. Il est certain que les pratiques collaboratives seront à même de bouleverser les relations entrepreneuriales, mais quelles en seront les évolutions sociétales ? On parle d’ubérisation de nos activités pour parler de la précarisation induite par ces nouveaux outils collaboratifs. A nouveau, l’IRSI développe ses champs d’expertise sur le sujet pour mieux comprendre et mieux appréhender les évolutions de pratiques collaboratives responsables dans nos entreprises à la recherche de leur propre utopie, qu’elles soient « réalisatrices » ou non.​

Thibault CUENOUD, Enseignant Chercheur, Pôle stratégie​, Excelia / IRSI